Crise sanitaire : les réseaux de chaleur face aux enjeux de continuité du service public

Entretien avec Ghislain Eschasseriaux, Délégué général de la Fédération des Services Energie Environnement (FEDENE) …

Entretien avec Ghislain Eschasseriaux, Délégué général de la Fédération des Services Energie Environnement (FEDENE)

Quels sont les enjeux de la poursuite d’activité dans les réseaux de chaleur et de froid en cette période de crise sanitaire ?

En phase de confinement, l’enjeu principal, c’est de maintenir la continuité de service public, notamment dans les sites sensibles comme les hôpitaux, les EPHAD, les bâtiments publics stratégiques (ministères, mairies…), les établissements pénitentiaires, mais aussi dans les logements collectifs. Les efforts sont concentrés sur la production et la distribution de chaleur pour ces bâtiments. Toutes les missions liées à l’entretien préventif ont été reportées. Nos entreprises continuent également à alimenter en chaleur les sites industriels restés ouverts. Sur les sites fermés (écoles, bâtiments tertiaires..), nos entreprises se sont adaptées à l’occupation des bâtiments en réduisant drastiquement l’alimentation, mais certaines équipes poursuivent la maintenance.

Dès le début de la crise, la FEDENE a identifié et signalé aux pouvoirs publics une liste indicative des sous-traitants stratégiques, notamment les fournisseurs de bois énergie ou les entreprises de chaudronnerie, travaux publics, transports, afin que ces derniers puissent être identifiés comme des secteurs d’activités prioritaires, aussi bien en termes de poursuite d’activité, de circulation que d’accès aux masques.

Cette crise a mise en évidence l’interdépendance de nos systèmes, ils ne peuvent pas s’arrêter brutalement sans déstabiliser le fonctionnement de filières entières.

A quelles difficultés les entreprises gestionnaires de réseaux de chaleur et froid sont-elles confrontées ?

Concernant les équipes, nous avons dû faire face à des réorganisations pour permettre de remplacer les collaborateurs éventuellement absents et permettre l’application de consignes préventives de sécurité strictes dans les modes opératoires et les déplacements.

S’agissant des EPI, les entreprises de la FEDENE ont commandé des masques, gants, gel et lingettes (etc.) auprès de leurs fournisseurs habituels. Certaines se sont associées à un groupement de commande de 700 000 masques FFP2 d’importation lancé par un de nos syndicats adhérents. En effet, en dehors de tout contexte de crise sanitaire, le port du masque « FFP 2 et 3 » est d’ores et déjà une obligation règlementaire pour le travail dans certaines situations ou installations telles que dans les chaufferies biomasse ou les centrales de traitement d’air.

Dans les réseaux principalement alimentés par la biomasse, nous n’avons pas eu de problème d’approvisionnement. En revanche, ces réseaux ont eu massivement recours aux stocks de bois issus des forêts (plaquettes forestières) au détriment du bois issu des déchets d’emballages ou des produits connexes de scierie. Il faudra dans les mois qui viennent veiller à reconstituer les stocks en forêts.

Quelles sont les conséquences techniques et contractuelles de la crise pour les entreprises ?

Le confinement a mis un coup d’arrêt aux projets en cours, que ce soit des de projets d’extension, de création ou de densification de réseaux de chaleur. De nombreux chantiers sont arrêtés à la demande des entreprises de travaux ou des collectivités locales pour faire respecter le confinement. Les entreprises exploitantes et leurs sous-traitants ne peuvent plus répondre aux appels à projets de l’ADEME, se rendre sur le terrain pour préparer les propositions. Les échéances de validité relatives aux habilitations, visites générales périodiques obligatoires, ou encore des certifications ont fait l’objet de report et nécessiteront des aménagements. La suspension des enquêtes publiques remet potentiellement en cause l’économie générale des projets.

Même lorsque l’activité va reprendre, à l’issue du confinement, nous redoutons que les procédures administratives ou l’absence de décision politique ne retardent encore les projets. Les bureaux d’études indépendants en ingénierie de projets sont également très impactés et ils appellent la maitrise d’ouvrage publique à maintenir le rythme des projets. Il y a clairement un risque de perte de compétences si la situation ne redémarre pas rapidement.

En dehors du contexte de crise sanitaire qui contraint à se limiter aux situations urgentes et sensibles, nous sommes dans des activités essentielles à la société et au fonctionnement de l’économie, souvent décentralisées, qui  restent assez peu exposées aux cycles économiques, même si elles sont sensibles aux variations de consommations. La plupart de nos métiers sont en tension du fait d’un manque de main d’œuvre. L’arrêt ou le report de projets de chaleur et de froid renouvelables ou de réseaux de chaleur urbains et industriels, ce sont des potentiels d’emplois qualifiés non exploités, des investissements locaux menacés.

Par ailleurs, nous sollicitons un peu de souplesse de la part des donneurs d’ordre public et de partenaires tels que l’ADEME, dans le domaine des engagements contractuels. Dans certaines situations, le mix énergétique prévu pourrait ne pas être respecté sur la période du confinement. Ce pourrait être le cas dans certains réseaux urbains en partie alimentés par de la chaleur issue de l’incinération de déchets, dont le volume de déchets, et donc la part de cette source d’énergie dans le mix, a diminué. On constate en moyenne une diminution du volume de presque 10%des volumes de déchets incinérés, mais cela peut aller jusqu’à 25 ou 30% dans certaines installations. Heureusement nous arrivons en fin de période de chauffe et l’impact sera globalement limité sur l’année.

Un mot sur les enjeux de la reprise d’activité à partir du 11 mai et la relance ?

A très court terme nous avons rédigé un guide de préconisations pour la continuité d’activité, et sommes en train de l’actualiser aux enjeux de la reprise d’activité. Dans le domaine des réseaux de chaleur nous travaillons en collaboration avec le syndicat des canalisateurs – une profession avec laquelle nous sommes en contact pour réaliser les tranchées notamment- pour réviser les modes opératoires de manière concertée. Nous savons que les travaux ne pourront pas, dans les prochains mois, s’effectuer de la même manière qu’auparavant. Les plannings des équipes, les délais, les heures supplémentaires… l’organisation et le coût des chantiers vont être bouleversés.

Clairement l’enjeu est surtout celui de la relance ! Après la crise du Covid 19, le gouvernement prépare un plan de relance autour d’un double objectif : redémarrer l’économie et les emplois d’une part, et décarboner nos consommations d’autre part, pour nous remettre en ligne avec les objectifs de lutte contre le changement climatique. Un levier essentiel de cette relance sera le développement de projets d’économie circulaire, combinant recherche du meilleur ratio coût/efficacité, comme rappelé par la Ministre Elisabeth Borne, et la création de valeur locale.

L’énergie est évidemment, du fait de son impact carbone et de sa part dans le budget des ménages et de son impact pour la compétitivité de nos entreprises, une des composantes majeures de cet enjeu.

La FEDENE, regroupant les principales sociétés de services énergétiques, opérateurs de la transition énergétique et climatique, milite de longue date en faveur d’une telle démarche de croissance verte et est prête à se mobiliser pour développer des projets qui concrétiseront cette relance. Les solutions portées par nos entreprises adhérentes y ont un rôle majeur à jouer car elles contribuent à la croissance verte de notre industrie et de notre économie en générale.

Le premier enjeu est celui de la concurrence des énergies fossiles dont les prix sont actuellement extrêmement bas. Certains fournisseurs de gaz ont d’ailleurs des démarches agressives pour inciter les immeubles à se raccorder au réseau de gaz. Dans ce contexte, les dispositifs de soutien mis en place par les pouvoirs publics à l’issue du GT ministériel sur les réseaux de chaleur en octobre 2019, qui offre la possibilité de cumuler les certificats d’économie d’énergie (CEE) et le Fonds chaleur ADEME pour le raccordement des immeubles sont particulièrement opportuns pour rendre les énergies renouvelables plus compétitives que les énergies fossiles.

La chaleur représente environ 45% de nos consommations énergétiques finales et, environ la moitié des consommations d’énergies fossiles, donc d’émissions de CO2.

Les projets d’économies d’énergie, comme ceux de chaleur renouvelable et de récupération ont pour caractéristiques communes d’économiser ou substituer à des énergies fossiles importées, des projets fondés sur des investissement, des emplois et des filières d’approvisionnement régionaux, en valorisant au mieux les ressources énergétiques locales. A ce titre, les réseaux de chaleur constituent une formidable opportunité pour valoriser une source d’énergie produite localement – à partir de bois, d’incinération de déchets, de géothermie ou de récupération de chaleur fatale – qui permet de fonctionner en autonomie sans être tributaire des cours mondiaux, c’est une solution d’avenir !

Dans le domaine de la chaleur renouvelable et de récupération, pour la relance à moyen terme, nous souhaitons être proactifs. Nos propositions, seront présentées aux pouvoirs publics sous la forme de fiches d’initiative concertée entre acteurs de la filière et s’articulent selon 3 axes :

–    Réseaux de chaleur, et de froid : nouveaux réseaux, extension-verdissement, densification,

–     Récupération et optimisation de chaleur fatale au niveau industriel,

–     Solutions renouvelables pour le chauffage individuel : biomasse…

Chacune précisera l‘impact sur les finances publiques, l’impact en terme de relance, la rapidité de mise en œuvre

Actualités

Publications

Commande publique durable : quels enjeux pour les SPICs?

Comment faire des services publics locaux des leviers pour la transition écologique et l’inclusion sociale dans les territoires ? Comment mieux leur permettre de contribuer aux ambitions sociétales du territoire ? C'est le thème de cette réflexion commune lancée par l'UNSPIC et Villes de France.

Restons connectés ! Abonnez-vous à la newsletter de l’UNSPIC

Suivez-nous sur