Entretien avec Charles-Eric Lemaignen, Vice-président d’Orléans Métropole et secrétaire national de l’Association des Communautés de France (AdCF)
Qu’a démontré la crise sanitaire concernant la résilience/performance des services publics locaux en France ?
On ne peut que souligner la réactivité très forte des services publics, qui s’est souvent traduite sur les territoires par un travail commun de qualité entre les collectivités locales et leurs opérateurs de services publics dans tous les secteurs : eau, déchets, transports, restauration collective…
Depuis le début de la crise sanitaire, un recensement des surcoûts et des impacts de la crise dans ces divers
services publics a été fait tant chez les opérateurs que dans les collectivités. Maintenant les questions qui se posent sont celles de la répartition de la charge et de la négociation d’avenants aux contrats. Dans ces domaines, nous entrons dans une phase de risques, d’autant plus que certains business models, par exemple dans le transport ou l’événementiel, seront vraisemblablement bouleversés sur le long terme. Le risque est celui de conflits entre parties prenantes ; il est aussi juridique : va-t-on bouleverser l’équilibre économique du contrat ? Le cas échéant il existe un risque de contentieux avec les concurrents évincés.
A ce stade, j’observe néanmoins que les relations entre maitre d’ouvrage et opérateurs se déroulent dans de bonnes conditions, avec la volonté d’aboutir à un équilibre satisfaisant pour les deux parties. La création d’un compte Covid, mis en place par le ministre chargé des Comptes publics et la ministre de la Cohésion des territoires est, dans ce contexte, un dispositif pertinent. Il permettra aux collectivités d’étaler dans le temps la comptabilisation de dépenses de fonctionnement et de les financer, de manière exceptionnelle et si elles le veulent, par un recours à l’emprunt.
Quels sont les axes d’amélioration pour une prochaine crise ?
Une idée serait de prévoir à l’avenir des instances de médiation ou d’arbitrage entre les maitres d’ouvrage publics et leurs opérateurs afin d’éviter les éventuels conflits qui pourraient résulter des situations de crise non prévues au contrat. Ce rôle de médiateur pourrait être joué par l‘intermédiaire des associations d’élus.
Plus généralement, il y a peut-être également un travail à faire sur la manière d’organiser nos services publics locaux, pour passer d’un « jardin à la française », qui attribue des compétences précises à chaque niveau de collectivité, à un raisonnement par grande politique publique, avec un chef de file stratège coordonnateur et des autorités organisatrices qui mettent en œuvre les politiques sur le terrain.
Le modèle du transport est, à ce titre, très intéressant et sans doute reproductible. Dans la mise en œuvre de la loi LOM, certaines régions jouent parfaitement le jeu de la co-construction des bassins de mobilité avec les intercommunalités, et le modèle fonctionne très bien. Dans d’autres régions c’est plus compliqué, on risque de retomber dans une sorte de centralisme régional.
Quels sont les enjeux de la relance sur les territoires ?
L’investissement est un axe fort de la relance. Dans ce domaine, il faut à tout prix éviter le saupoudrage. L’AdCF plaide depuis 2014 pour avoir des Assises de l’investissement et faire un diagnostic partagé sur les vraies priorités au niveau national. Il y a des enjeux forts, comme l’investissement dans les réseaux d’eau, qu’il convient de ne pas oublier, même si ce sont des investissements moins visibles que d’autres. C’est, à ce titre, une bonne chose que le plan de relance définisse des priorités stratégiques.
Par ailleurs, dans la relance nous devons faire preuve de bon sens en simplifiant les procédures. Il convient de ne pas retarder davantage les projets et éviter la « sur-administration ».
Enfin, il faut tirer le meilleur parti des coopérations public-privé, faire travailler ensemble de manière pragmatique les collectivités locales et les opérateurs privés de service public. Nous devons multiplier les démarches expérimentales de terrain, au plus près des besoins de nos concitoyens et s’appuyer sur les innovations des opérateurs, qui sont des leviers importants, tout en garantissant le respect des règles de concurrence. La délégation de service public est un moyen intéressant pour développer et moderniser nos services publics en s’alliant le professionnalisme d’un opérateur, toujours sous le pilotage et le contrôle des autorités organisatrices. Ces DSP sont beaucoup mieux équilibrées qu’auparavant ; elles sont mieux négociées au bénéfice des deux parties et s’avèrent souvent être des partenariats « gagnant-gagnant ».
A cet effet, le livre blanc « Construire la performance des services publics locaux » rédigé par l’AdCF, l’UNSPIC et Espelia contient de nombreuses clés pour favoriser la performance des services publics, et notamment dans le cadre des contrats avec des opérateurs. Il faut que les collectivités se saisissent pleinement de cet enjeu de performance.